Travail sur les rêves: la question du sacré (1)
La nature objective du langage du rêve, son impact significatif a historiquement perdu la quasi totalité de son influence sur nos destinées. Mais il reste que c'est un univers qui nous questionne. Ce qui advient spontanément du fond de nos âmes, ce qui jaillit inopinément de cette source inconnue, étonnante, qu'on nomme l’inconscient, n'a aucune raison d'arrêter de nous questionner.
Dans l’oeuvre de Jung, la question du divin et, de manière générale, la question du religieux est inscrite dans la psyché humaine. Comme la religion a imprégné toutes les civilisations humaines du passé, nous sommes tous , quel que soit notre conditionnement personnel et social actuels, marqués par la religion.
Freud considérait Jung comme son fils adoptif et comme son successeur. Mais les nombreux désaccords entre eux, notamment au sujet de la religion, les conduisirent à une rupture inévitable.
Freud avait désigné la religion comme « la névrose universelle et obsessionnelle de l’humanité ». (L’Avenir d’une Illusion).
« La religion offre une consolation à notre détresse et à notre angoisse, en laissant espérer un au-delà après la mort. Mais cette consolation a un prix : elle fait de nous pour toujours des enfants sous la protection et le contrôle d’un divin parent. » Elle apparaît comme un système individuel dans lequel nous échangeons notre liberté contre un illusoire sentiment de sécurité et une certitude ». Et pour surmonter notre angoisse, Freud propose le "Dieu Logos", c'est-à-dire la parole. Lors du processus d’intégration des différents aspects de la personnalité, Jung constate que l’être humain libère dans ses RÊVES une fonction religieuse souvent réprimée. Il s’aperçoit que cette fonction est d’une puissance pour le moins égale à celle des pulsions sexuelles et agressives de la théorie freudienne. « Il existe dans l’inconscient le plus profond une dimension qui constitue en soi-même le phénomène religieux, hors de toute confession mais à son point de naissance ».
Lionel Corbett, psychiatre anglais qui a suivi la formation d’analyste jungien à l’institut Jung de Chicago a écrit plusieurs ouvrages sur le sacré et la spiritualité. Pour lui, « les religions établies essaient de maintenir une stabilité en imposant un système fermé de rituels alors que la spiritualité authentique se développe dans l’individualité » . Soit la tradition nous oblige à traduire les expériences personnelles du sacré dans des formes et des termes figés, soit elle les rejette d’emblée.
Or, c’est l’expérience spirituelle intérieure (et non l’enseignement d’un pasteur ou d’un texte religieux) qui nous parle avec la plus grande autorité. Corbett emprunte à Jung et à Rudolph Otto (théologien protestant et philosophe des religions1869-1937) la notion de « numineux » « le sentiment unique du sacré .
Le numineux se manifeste de manière inattendue et souvent en dehors de tout contexte religieux, dans les REVES , les moments de méditation, les voyages , le contact avec la nature… Nous avons la conviction d’avoir rencontré quelque chose de totalement autre, une réalité qui va au delà du langage. Il s’agit bien d’une expérience intérieure dont résulte une modification de conscience. Cela nous permet de découvrir notre véritable dimension spirituelle et stimule en nous une aspiration vers le divin. Nous devons bien sûr nous demander ce qui est la source de ces expériences.
Etymologiquement, , numen signifie l'être surnaturel,
« Il est impossible de prouver que l’on peut faire l’expérience d’une dimension spirituelle» déclare Corbett. ». Ces expériences présentent une telle singularité qu’il n’est pas vraiment possible de les transmettre et que ne peuvent les comprendre que ceux qui , chacun à leur manière, ont vécu la même chose.
Nous devons trouver notre propre chemin pour nous éveiller à l’infini.
Les religions sont issues de ces expériences car l’énergie qui en découle submerge l’individu et a des répercussions sur toute la communauté. Le sacré est au centre de l'expérience religieuse, mais il n'est pas que le religieux. Il est le sentiment du mystère, du "tout autre", un sentiment qui permet la manifestation de forces psychiques inconscientes où se mêlent, dans une alchimie particulière, le rationnel et le non-rationnel et qui nous éveille à l’infini, à l’inexprimable, à l’indicible en nous.
Le numineux ne peut être identifié. Il permet de comprendre ce qui, au cœur de toute religion existerait à la base des représentations qui peuvent prendre une multitude de formes selon les lieux et le contexte culturel.
Ce qui intéresse Jung est l’expérience numineuse et personnelle du divin, de Dieu et non la croyance en Dieu.
"Le problème de la religion n'est pas aussi simple que vous le pensez, écrit-il à l'un de ses contradicteurs. Il ne s'agit absolument pas de conviction intellectuelle, ni de philosophie et pas même de foi, c'est bien plutôt l'expérience intérieure."
Il ne se pose pas la question de savoir si une religion est meilleure qu'une autre, il constate simplement que l'être humain ressent la nécessité d'une vie symbolique qui permette aux besoins de l'âme de s'exprimer et que la pratique religieuse peut être source d'équilibre profond.
Dans un prochain post, je parlerai des constatations bouleversantes que fit Jung dans sa pratique professionnelles qui le conduisirent à faire une déclaration qui fut fort mal comprise et le mit sous le feu d’attaques très virulentes, tant de la part des milieux psychanalytiques et scientifiques que de théologiens et de croyants.